jeudi 20 janvier 2011

Dans la roue de Freddy Maertens (11) : 1981, Le chant du cygne...

En cette année 1981, Freddy Maertens retrouve Guillaume Driessens qui dirige l'équipe Boule d'Or . Et, malgré un début de saison décevant, ce dernier permet à Freddy de courir le Tour de France. 
Et le miracle se produisit !
Freddy remporte la première étape de ce Tour 1981 à Nice !
Et il récidive lors de la quatrième étape à Narbonne.
Ce qui inspire au journaliste du Miroir Ghislain Loustalot l'article suivant :

"On ne pouvait l'avoir oublié, mais Freddy Maertens, autant dans les colonnes que dans les coulisses faisait déjà un peu partie du passé. Nombreux étaient ceux qui juraient avoir vécu la disparition et la déchéance d'un champion hors des normes et du commun. Plus nombreux encore étaient ceux qui pensaient comme eux mais se taisaient, pitié et pressentiments étranges mêlés devant cette chute vertigineuse. Il s'agissait d'une chute en effet, mais de celle d'un enfant de la balle, de celle d'un funambule du peloton. La famille, dans sa majorité, préféra ne rien dire. Mais à l'endroit même où le câble s'était rompu au-dessus de la longue piste, on eut pu voir, ce diable d'homme pendu à bout de bras, se raccrochant au câble du cyclisme comme à un cordon vital et remontant centimètre par centimètre, cherchant des yeux, habitués déjà à la pénombre, le soleil tout au bout d'un très long tunnel. A force d'énergie ou de repos insoupçonnés, Freddy semble arriver aujourd'hui au terme de sa nuit. Chaque matin qui le réveille le voit paré de nouvelles couleurs et surtout d'un vert tendre et gourmand qui ravit ses regards.
Ce vert maillot qu'il doit déguster à petites gorgées, Freddy ne le doit qu'à lui-même, qu'au savoir-faire secret qu'il a retrouvé pour s'arranger les sprints et se les faire beaux, mais aussi à cette volonté farouche qui l'anime et le fait combattre sur tous les points chauds pour défendre son paletot printanier."
Mais Freddy Maertens a faim de victoires et gagne encore deux sprints: et en Belgique en plus ! 
A Bruxelles et Hasselt... Le public belge exulte d'avoir retrouvé son champion ! 
Beaucoup attendent sa défaillance dans les Alpes...
... mais ils sont déçus, Freddy Maertens limite honorablement la casse et ramène, pour la troisième fois de sa carrière, un beau maillot vert à Paris.
Cerise sur le gâteau, il remporte le sprint sur les Champs Elysées ! 5 victoires d'étapes, un maillot vert... Personne n'aurait parié un franc belge sur un tel succès de Maertens avant ce Tour !
Le podium du Tour de France 1981
Toutes les photos sont tirées des n° 304 et 305 de Miroir du Cyclisme et sont l'oeuvre de Marcel et Henri Besson. 

Dans le Numéro 306 de ma revue préférée, Freddy Maertens est "Face au Miroir" pour un reportage d'Henri Quiqueré.

"Rien n'est plus terrible pour un champion que de redevenir anonyme. Cette expérience douloureuse, Freddy Maertens l'a faite.Trois années passées dans l'ombre, les quelques propos que certains lui accordaient ne portaient que sur le déclin, la fin de ce champion hier adulé. A l'occasion du Tour de France le belge a retrouvé la pleine lumière. Un retour qui n'a pas fini d'en étonné plus d'un et sur lequel Freddy Maertens s'explique dans ce "Face au Miroir".
Cinq victoires d'étapes dont la plus con­voitée, celle sur les Champs-Elysées à Paris, maillot vert du classement par points, Freddy Maertens est, paradoxa­lement, la révélation du Tour de France 1981 ! Personne, pas un journaliste même belge et surtout pas ses congénè­res les coureurs, ne le croyaient capa­ble de sortir du tunnel dans lequel il était engouffré depuis bientôt trois ans. Pas un qui le pensait capable de rallier Paris, de passer la montagne et de ramener ce trophée du classement par points comme il l'avait déjà fait en 1976 et 1978. Entre 75 et 78 se déroulèrent, il est vrai, les années de sa gloire. Les temps magnifiques où il collectionnait les grandes victoires : Gand-Wevelgem (deux fois), Paris-Bruxelles (deux fois), Paris-Nice, le Tour d'Espagne, le Grand Prix des Nations, celui d'Automne, le Championnat du Monde, etc... Depuis, il y a eu le grand trou, trois années noires, sans victoires, pire, le lâchage dans les premiers kilomètres de course, l'incapacité à être coureur, tout simplement ! Un trou que l'on a naturel­lement et aussi simplement que ça, attri­bué au dopage ! De la même façon, sa résurrection viendrait de l'utilisation d'un nouveau produit miracle ! Et Freddy, ça ne le met même pas en colère. Ça le rend triste, très triste. Il dit, avec beaucoup d'amertume dans la voix :

« On ne pourrait pas parler d'autre chose. Vous ne croyez pas que j'en ai assez subi comme ça ? Vous ne vous êtes jamais demandé ce qui pouvait se passer dans la tête d'un homme qui a été champion et qui, du jour au lende­main, ne l'a plus été ? A vingt-sept ans être déclaré fichu, c'est la pire des choses. Aussi terrible que la mort ! Je dois dire qu'il m'est arrivé de penser à la mort ! Maintenant que je suis redevenu presqu'aussi bon qu'avant, je voudrais qu'on ne me parle que du présent ! »
La bouche élastique sur le menton prognate se déplace latéralement et rapidement. Plus qu'agacé, il est proche de la colère. Il lui faut une longue respiration. Un grand silence avant que de se déci­der à préciser :
« Et puis d'abord, il est faux de dire que j'ai abusé des produits dopants. Cela m'est arrivé comme tous les coureurs cyclistes mais pas plus que les autres. L'explication est ailleurs. Dans les ennuis que le quotidien m'a procurés. C'est fragile un champion vous savez ? »
Rien de plus pour l'instant. Il faut lui avancer les arguments du Docteur Misserez, médecin chef du Tour de France, et qui suppose que son effacement n'a été du « qu'à une grande fatigue et à une usure prématurée par l'utilisation de trop grands braquets» pour qu'il poursuive :
« C'est peut-être vrai, mais ce n'est pas l'essentiel. L'essentiel se sont les ennuis moraux et puis la malchance ! Cette année, je serais revenu au pre­mier plan dès le printemps si je ne m'étais successivement facturé deux doigts de la main puis deux doigts de pieds. J'étais costaud. L'ennui, c'est que j'étais le seul à vraiment le savoir et que personne ne me faisait assez con­fiance pour me redonner une vraie chance de le prouver sur la route ! Per­sonne sauf Guillaume Driessens qui a réussi à convaincre Willy Delabastita, responsable de la firme Boule d'Or, à m'engager dans son équipe. Guillaume à d'ailleurs été le seul à me garder con­fiance même après mes malheurs du début de saison. Il a été jusqu 'à me déni­cher un conseiller fiscal de valeur pour régler des problèmes d'argent annexes mais importants sur le plan du moral que j'ai eu, aussi, en début de saison. Vous voyez que je n'exagère pas quand je parle de mes ennuis. Ils n'ont pas man­qué ! D'un autre côté, ils m'ont motivé pour préparer le Tour de France. La seule façon que j'avais de remercier Guillaume, c'était de gagner des étapes. Je ne m'en suis pas mal sorti avec cinq.Et sans la chute à proximité du vélo­drome de Roubaix, je suis certain que j'en aurais gagné six ! »
Pourtant, ce ne sont pas ces sprints for­midables et plus particulièrement celui de l'étape gagnée à Bruxelles qui est un morceau d'anthologie du genre qui ont le plus convaincu ses détracteurs. Ce sont surtout ses performances contre la montre à Pau et à Saint-Priest et même sa façon de passer les Alpes qui ont démontré qu'il était redevenu un cou­reur de tout premier plan :
« Là aussi, je me permets de m'étonner. Dans le passé récent, j'avais toujours été un fort rouleur et je n'ai jamais été un aussi piètre grimpeur qu'on voulait le laisser entendre. Souvenez-vous que j'avais remporté un Tour d'Espagne et que cette épreuve ne se dispute pas entièrement sur la Costa Del Sol et que j'avais terminé septième du Tour de France en 1976 et treizième en 1978 et que pour cela, il faut même ne pas être trop « chariot » dans les cols. Cette année, je venais pour redécouvrir la montagne. J'avais besoin de réadapta­tion. Et, si j'ai très mal franchi les Pyré­nées, j'ai fort bien passé les Alpes. J'aurais même pu accrocher des roues dans les vingt premiers si je l'avais vrai­ment voulu et si je n'avais pas eu peur des lendemains. J'en tiens pour preuve que je termine le Tour en pleine forme et nullement fatigué ! Et qu'importe si on ne me croit pas quand j'affirme cela. Moi, je sais où j'en suis et je sais que je reviens très vite au niveau des années 75-78 ! »
Et là, il a un sourire de bonheur. Quelque chose de simple et de très réconfortant. Qui précède un formidable éclat de rire :
« Et je vais même vous dire que ce ne sont pas mes cinq victoires d'étapes dans le Tour qui m'ont procuré le plus de plaisir ! Là où j'ai été le plus heureux, c'est quand j'ai vu la tête de certains au soir des arrivées dans les Alpes. Dépi­tés, tristes, et tout cela parce que j'étais à l'arrivée et dans les délais, ils pas­saient toute la journée derrière moi dans l'attente du moment où j'allais poser le pied à terre et abandonner. Je ne leur en veux d'ailleurs absolument pas, ils m'ont aidé à me surpasser ! »

Le Tour de France, c'est déjà le passé. L'avenir, c'est beaucoup plus important aux yeux de Freddy. Hormis la certitude qu'il a de redevenir dès l'an prochain le super champion qu'il était, il reste la fin de saison et tout particulièrement le championnat du Monde qui se courra à Prague sur un circuit que l'on présente assez sélectif mais comme devant sur­tout sourire à un homme fort, bon rouleur et bon sprinter :
« C'est effectivement la course que je voudrais gagner dit-il. Mais cela ne veut pas dire que je bouderai les autres : Tour de Lombardie et Grand Prix d'Automne notamment. Mais pour les championnats du Monde, il faut encore que je sois sélectionné. En Belgique, il y a toujours eu des mises à l'écart inad­missibles pour cette épreuve. Il semble que cette année, tout sera construit pour favoriser une éventuelle victoire de Roger De Vlaeminck et il n'est donc pas certain que je sois au départ. Mais c'est à moi de la conquérir, de la rendre iné­luctable par mes performances dans les courses d'ici à la fin août. Avec un équipier et l'éventuelle collaboration de Daniel Willems qui a signé chez nous pour l'an prochain, ce devrait être suffi­sant pour rendre la victoire envisagea­ble. Et puis, en dépit de mes divergen­ces avec Roger soit dit en passant on a beaucoup exagéré notre inimitié , s’il est devant, je suis tout prêt à sacri­fier mes chances et à favoriser son succès ! »
Malicieusement, il ajoute :
« Ça, je ne le dis pas à la presse belge !... »
Nouveau rire en cascade suivi de gloussements. L'apaisement revenu, il poursuit :
« Et si je n'en gagne pas une grande en fin de saison, ça m'obligera à en gagner plus l'année prochaine. Car là, ce sera une grande année Maertens. Je vais tout faire pour cela. C'est-à-dire que je ne ferais qu'un ou deux Six Jours cet hiver et que je me reposerai énormé­ment. Pas de vélo. Juste du footing et de la musculation. Le reste du temps, je m'occuperai de mon vin. »
II faut dire que les amis de Freddy van­tent sa cave. Que des Bordeaux mais des grands crus. Des bouteilles de pres­tige qu'il surveille avec un soin jaloux. Il connaît tous les châteaux et son livre de chevet sur le Tour était le dictionnaire des Vins de chez Larousse.
« Un bel ouvrage, dit-il. Celui qui m'a indiqué que la potion magique était le Château Haut Brion. Mais ne le dites pas, sinon tous les autres coureurs vont en boire et connaître ainsi le secret de ma réussite ! ».  
Et le Belge s'offre sa dernière une de Miroir du Cyclisme en remportant le Championnat du monde 1981. Il est entouré de saronni et Hinault qu'il a battu... 
...au sprint, bien sûr !
Hélas, Freddy Maertens montra peu son beau maillot arc-en-ciel en 1982 mais j'y reviendrai dans quelques jours pour évoquer, dans mon dernier message consacré à Maertens, la longue chute d'un champion.

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