samedi 19 juin 2010

Bordeaux Paris, c'est dans une semaine !


Je vais revenir une nouvelle fois sur 1959. Etonnant, non ?
Et plus particulièrement sur la dernière grande victoire de Louison Bobet.
J'ai déjà rédigé un message à  ce propos sur mon blog l'an passé. Mais comme Bordeaux Paris est dans MON actualité cette année, j'y reviens avec de nouvelles photos -je crois- et surtout des articles de l'époque,  du "grand" Robert Chapatte qui écrivait alors dans Miroir Sprint.
Je mets la une de Miroir des sports car elle est plus belle que celle de Miroir sprint !
Voici comment Louison Bobet a préparé et gagné BORDEAUX-PARIS

Par Robert Chapatte
Depuis 12 ans que dure sa carrière, Louison Bobet demeure fidèle à un principe qui contribua en grande partie a sa popularité : il ne reconnaît pas d'intérêt secondaire à une épreuve. Pour lui toute victoire est bonne à prendre.
Aussi est-on souvent surpris de découvrir à la lecture de son palmarès, sous les gran¬des lignes, quantité de critériums, d'épreuves régionales, qui attirent inévitablement cette réflexion admirative :
- Tiens, c'est vrai, il a aussi gagné celle-là !
Si Louison est riche d'une collection aussi importante de succès — et il ne s'agit pas là d'une simple vérité de Lapalisse — il le doit à sa « présence » continuelle du début à la fin de la saison.
Louison n'a pas de trou dans sa carrière. Des accidents sérieux, telle l'opération qu'il subit, lui ont seuls causé des arrêts, mais après quelques compétitions de reprises, il réoccuppait son rang de Premier du vélo.
Un seul mot résume cette situation : méthode. Il parait vain de rappeler que Louison imprima un tournant dans l’évolution du cyclisme... mais réellement le répétera-t-on assez.
Méthode nouvelle son entraînement, quand dès 1948 il lança l'entraînement motorisé, véritable révolution à l'époque. Tant d'années étaient passées avec cette vérité que les longues distances, musette dans le dos, rodaient le routier... les kilométrages courts et rapides étant laissés au pistard « ce coureur de salon ».
Méthode nouvelle diététique appliquée sans faiblesse dès son passage dans les rangs professionnels... et depuis adoptée par tous malgré son caractère de sacrifice constant.
Et par voie de cause à effet, méthode nouvelle encore la conception de son métier par Louison qui redonna ainsi l'éclat à une profession si souvent décriée.
Toujours sous pression, le Breton fut un temps un sujet d'étonnement pour ceux
qui ne suivaient pas de près son travail opiniâtre pour « arriver ». Avec ses premières victoires internationales disparut l'idée des limites qu'on lui octroyait. Peu à peu on s’ habituait à ajouter les premières places aux premières places et on en arriva, pour faciliter la tâche à cette opération extraordinaire : citer les épreuves qu'il n'avait pas encore gagnées.
Le point le plus épineux : le choix de l'entraîneur
BORDEAUX-Paris était du nombre, pour la raison d'ailleurs capitale qu'il ne l'avait jamais couru. Week-end ardennais, Giro (malgré de brillants accessits) et Paris-Tours (manqué d'un rien à deux reprises) figurant less autres lacunes.
Pour 1959, Louison s'était fixé pour Bor¬deaux-Paris. Puisque le Giro toujours couru à la même époque se refusait à lui. Il se tourna vers le Derby.
Alors on se prit à penser que Louison et le Derby étaient faits l'un pour l'antre. La méthode... n'était-ce pas le mot-clé de Bordeaux-Paris, n'était-ce pas la force de Bobet?
En quel lieu mieux recevoir la récompense de longues années de privations et d'efforts que sur l'interminable ruban de près de 600 kilomètres ? C'est vrai que Bobet représentait le coureur-type du Derby... Comment n'y avait-il pas pensé plus tôt? Comment n'y avait-on pas pensé pour lui?
Ce climat euphorique présida A la mise en place du dispositif. Dès qu'il reprit fin janvier l'entraînement, Louison manœuvra en fonction de Bordeaux-Paris. Il ne cacha ni son intention de se surpasser pour atteindre son but ni sa volonté de travailler plus que jamais s'il le fallait.
De son côté, toute assurance était fournie par les exemples passés. On savait pertinemment qu'il ne prenait pas l'affaire à la légère, puisqu'il représente une garantie contre la négligence.
Une autre raison de sérieuse espérance était la formule de la course. 3OO kilomètres de Chatellerault à Paris derrière derny. Or le néophyte de Bordeaux-Paris était un spécialiste du Derrière derny, le meilleur peut-être... maintes fois vainqueur au Vel l'Hiv. quatre fois lauréat des As, plus sou¬vent premier que battu sur toutes les pistes...
Ses références sont telles d'ailleurs dans ce domaine que, rapidement, lorsque fut répandue sa décision de participer au Derby, les renoncements parvinrent un peu partout d'hommes qui clamaient quelque temps auparavant leur intention de s'ali¬gner au départ des 4 Pavillons. A tel point que l'on se demandait à quinze jours de l'épreuve si dix candidats se feraient con¬naître. En fait, ils furent douze, dont De Bruyne, Foré et Cieleska étaient réellement les seuls à ne pas sembler souffrir du complexe Bobet.
La difficulté la plus épineuse présida dans le choix des entraîneurs. Bernard Gauthier, équipier (et ami) de Bobet, qui avait gagné ses 4 Bordeaux-Paris derrière Lorenzetti entendait conserver ses services. Sans Lorenzetti il renonçait. A. Ma¬gne, mué en Salomon, marqua alors son embarras pour trancher la question, quand il apprit que Bobet avait également réclamé Lorenzetti. Il faut croire que le rôle de l'entraineur considéré jusque-là très im¬portant est capital puisque Gauthier et Bobet ne démordirent pas de leur position. Ce fut Lorenzetti qui décida. Il prit Bobet dans son sillage. Et Bernard Gauthier aban¬donna, pour un an tout au moins, son titre de « Monsieur Bordeaux-Paris ». L'histoire ne dit pas le tarif promit par Louison en cas de victoire au rusé Hugo qui a su élever sa fonction à l'indispensable.

Une répétition générale fut effectuée sur le parcours (bien payé) de Rome à Palerme avec un engin d'entraînement assez lointain du derny. Le tandem, on s'en souvient, se remporta royalement en surclassant le lot et n'eut plus ensuite de retour en France, qu'a fignoler la préparation.

Dans cette préparation Poupard et Séréni, les deux soigneurs, eurent une part prépondérante. Mais ce régime de surcom¬pression pour tant d'autres n'était pour eux que le mode habituel d'entraînement de Louison.
Prêt pour Bordeaux-Paris, il l'était depuis belle lurette...



L'extraordinaire "Hassen" a terminé 2ème
Ces longues explications sur la préparation de Louison s'imposaient pour traduire les raisons de son écrasante victoire. Jamais succès ne fut plus rapide dans son exécution. Jamais vainqueur ne fut plus frais au Parc des Princes.
Le journal imprimé mot par mot sur le tand-sad de la moto aux côtés de Louison pendant son fantastique cavalier seul relatera mieux ses impressions prises sur le vif que de trop longs commentaires.
Et si vous n'y relevez pas souvent les noms de ses suivants c'est qu'il les surpassa trop. quand à Bonneval il mit fin à l'aventure du jeune belge Van Tongerloo, qui dès la prise des entraîneurs s'était élancé, appliquant ainsi à la lettre les recommandations d'A. Magne qui l'avait désigné comme lièvre de Louison.
Van Tongerloo tint ainsi pendant 160 km. Il compta jusqu’à 5' 10" d'avance entre Tours et Vendôme, alors que la Beauce semblait avoir doublé ses kilomètres sous l’effet de la chaleur. Sans Louison il aurait réussi l'exploit de bousculer les favoris mais son déclin coïncida avec l'essor de Bobet. C'était plus qu'il n'en fallait pour perdre 4' en 20 kilométres.
Quand il attaqua, Louison ne put sur le champ lâcher De Bruyne et Hassenforder. Tous les autres renoncèrent et pour Fore se compliqua d'une chute, mais Hassen et De Bruyne tentèrent l'Impossible. Le deuxième coup d'accélérateur leur fut fatal.
Mais si de De Bruyne on attendait da¬vantage, on fut surpris par Hassen. Une fois de plus la superclasse de l'Alsacien éclata. Son engagement dans le Derby avait été accueilli par des sourires scepti¬ques. On le croyait venu là pour... la nuit où au cours d'une de ses escapades noc¬turnes il aurait pu déployer le jeu de ses mille et un tours. En fait, il fut présent jusqu'au bout pour aller glaner an Parc, à 7’ 25" de Louison, une deuxième place parfaitement méritée et arrivant à point pour lui valoir un regain de popularité.
Mieux préparé, plus concentré sur l'obectif, Hassen aurait-il mieux fait encore ? Peut-être, mais ce n'est pas certain, Hassen reste Hassen... un être finalement très mystérieux qu'on ne situe jamais à sa valeur du moment.

Si sa deuxième place lui fait réaliser qu'il perd bien des occasions de démontrer sa valeur... et d'enrichir son compte en banque, lui qui prétend toujours vivre sar la corde raide, alors Bordeaux-Paris lui aura été très profitable.


Départ dans la nuit...


La toilette du petit matin

La prise des entraîneurs

Mon journal aux côtés de Louison
par Robert Chapatte


BONNEVAL. — Il reste 122 km, le soleil darde, le goudron fond et Louison rejoint et passe Van Tongerloo. Il ne parle plus de ses maux d'estomac. Peut-être le temps de le faire lui manque-t-il après tout.


CHARTRES. — Au sommet Louison, dents serrées, cherche le bon braquet. Il cafouille dans ses développements... et pédale très avancé sur le bec de sa selle.
LE GUE DE LONGROY. — En « danseuse » il termine la côte. Au sommet il retire sa casquette, mais il ne la jette pas. M. Pierre, l'entraîneur de réserve, vient la lui prendre sous les réprobations du directeur de course, qui estime qu'un seul entraîneur suffit.
VERS ABLIS, sur le plat, il souffle, comme le vent, et croque quelques mor¬ceaux de sucre, puis boit. Il fait sa toilette (déjà)... et rappelle la voiture de ses soigneurs par des gestes larges du bras gauche. Il grimace. C'est la défaillance. En réalité son appel était sa façon de tirer la sonnette d'alarme.
L'instant est crucial, car une défail¬lance dons Bordeaux-Pons, cela peut toujours arriver, mais elle passe ou ne passe pas. Séréni, Poupard s'affairent... et le réconfortent.
ENTREE D'ABLIS. — II me sourit et fait signe que cela va mieux. Ouf... depuis 5 kilomètres, on avait peur pour lui. Bien que De Bruyne, Hassen et Van Tongerloo soient pointés à 7'.
SUR LES PAVES D'ABLlS. — Il se déplace sur sa selle et se met de guingois afin de soulager ta partie la plus sensible de son individu.
SORTIE D'ABLlS. — L'alerte est pas¬sée. Il redemande sa voiture de ravi¬taillement pour annoncer la nouvelle.
Au bord de la route un gosse remarque à son papa : « Il a le maillot jaune... Dis papa, il le gardera s’il gagne ? »
DOURDAN. — C'est l'os, Louison croit mourir mais ce sont les autres qui manquent de souffle et que l'on va enterrer jusqu'au Parc... sauf Hassen qui se maintient et va se foire violence pour tenter un rapprochement.
St-CYR-SUR-DOURDAN. — Je lui ai appris « 7 minutes », il a fait « Bon » et s’arrose de satisfaction. Puis il regar¬de, étonné, ses supporters qui l'accla¬ment, perchés dans un arbre.
DESCENTE DE St-CYR. — Il plonge au sprint. Le compteur de la moto indique 80. Cela va vraiment vite.
ANGERVILLERS. — C'est dur à relancer le grand braquet sur le plateau après le raidillon.
LIMOURS. — Rien à signaler. Il aborde la côte sur le 14 dents et passe le 16 pour mieux l'avaler. Jamais il n'a monté aussi rapidement.
SAINT-REMY. — Summum de sa popularité. Tous les spectateurs sont bobétistes. L'un d'eux voit plus loin que Bordeaux-Paris. II crie : « Bobet au Giro ». Pas gentil pour Anquetil.
DESCENTE DE St-REMY. — II dégringole comme un aérolite, terrifiant d'audace. Comment s'y prendraient les autres pour revenir de l'arrière ? Et l'on se demande aussi à combien sera le deuxième ou Parc.
CHATEAUFORT. — Il a le toupet de se porter la hauteur de Lorenzetti et de lui parler.
De quoi ? De Bordeaux-Paris 1960 peut être.
Ensuite ? Excusez-moi. Je devais me rendre au Parc. Et lâcher puis prendre 5 minutes à Bobet en ce dimanche qu'il attendait depuis 12 ans, ce n'était pas facile.


Et pour finir, quelques réclames à la suite de cette belle victoire...
Il y eut également un slogan qui disait (je crois...):
"Pschitt orange pour toi, mon ange !
Pscitt citron, pour toi, Louison !"

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